L’INCONSCIENT POLITIQUE
L’inconscient politique ne tombe pas sous le sens. Il en manquerait même un peu, de sens, s’il nous le faut commun.
Tout le monde sait aujourd’hui ce qu’est l’inconscient, le modèle individuel, le familial et en option le collectif. Chacun sait qu’à l’intérieur de lui une force le fait agir. C’est moi et pourtant aussi presque un autre. C’est plus moi que moi. Plus vrai que vrai. Le noyau intime, en somme le pilote dans l’avion. L’envers authentique de la conscience trompeuse. Tout le monde aujourd’hui sait ce qu’est l’inconscient.
Pourtant Freud et Lacan donnent à la notion un empan bien différent. L’inconscient freudien n’habite pas les profondeurs de l’être, ne se confond pas avec l’intime. Il s’attrape au raz du discours, dans le mot d’esprit, la langue qui fourche, le lapsus, toute la menue psychopathologie de la vie quotidienne, le symptôme, les manières d’aimer, d’aimer être aimé…
Nous parlons et sommes parlés même si nous ne disons rien et c’est le tout de l’affaire. Pas moyen de sortir du langage qui nous fait univers. Pas de dehors à ce dedans.
Pour Freud le rapport au monde qui oriente le sujet dans sa vie individuelle, disons dans sa biographie et les mécanismes qui président au déploiement de l’histoire des sociétés, des civilisations sont dans un rapport d’ analogie.
Lacan franchit un pas supplémentaire en faisant du discours « l’atmosphère du sujet » (1) .
L’air qu’il respire, celui qui est au dehors mais aussi au dedans, sans solution de continuité. Ce qu’il appelle « le discours de l’Autre »(2) avec une majuscule est à la fois ce qui contient le sujet et ce qui est contenu par le sujet.
Dès lors, ce qui se déroule dans le champ social regarde la Psychanalyse. Elle a quelque chose à en dire car l’inconscient est « transindividuel » (3). l’Histoire, la Sociologie, la Psychologie toutes les disciplines « conjecturales »expliquent le monde et les lois qui le gouvernent . Les sciences dites dures le font également. Tous les savoirs élucident un pan de notre existence individuelle ou collective. Un peu, beaucoup parfois mais pas plus. Chacune laisse un reste dont le savoir ne peut répondre. Le discours savant, le discours de la Science lui-même, la forme discours, la structure du discours, la matrice qu’il constitue et à laquelle le « parlêtre »(4) n’échappe que dans certaines modalités de la folie, réserve une place à ce qu’il rejette, C’est ce rebut, cet étranger de l’intérieur, cet « extime »(5) que la psychanalyse accueille, interroge, traite là où il fait peur, là où il fait mal, individuellement ou à plusieurs.
Les Laboratoires sociaux, à saisir sur le vif, ne manquent pas à un moment de notre histoire où les discours s’affolent. Nous en choisissons trois : les violences à l’École et le pluriel importe, les tourments identificatoires du genre, la frontière fluide et peureuse du même à l’étranger qui motive la haine de l’autre.
A la manière des glaciologues, prélever, examiner, étudier des carottes du « malaise dans la civilisation » cherche un chemin alternatif à l’appel du bâton salvateur qui désarticule les discours et nous-mêmes.
Francis Ratier
NOTES
1) A. Di Ciaccia, « Qu’est-ce que la psychose? » conférence dans le cadre du Pont Freudien, consultable ici : sur internet : http://pontfreudien.org/content/antonio-di-ciaccia-quest-ce-que-la-psychose
2) J. Lacan, Écrits, Paris, Seuil, 1966, p.16
3) J. Lacan, Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 258
4) J. Lacan, Le triomphe de la religion, Paris, Seuil, 2005
5) J. Lacan, Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, Paris, Seuil, 2006, p. 249